
Secteur muséal : une vague de restitution
April 26, 2023
Ecrit par Alix Powis de Tenbossche
Souscriptrice, Fine Art & Specie chez AXA XL
Comment cela une vague ?
Ces dernières années, les musées du monde occidental ont commencé à appliquer diverses politiques de restitution concernant le retour des œuvres d’art dans leur pays d’origine, provoquant un bouleversement mondial de ce qui constitue une collection d’art légitime. Par exemple, des musées en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Belgique ont rapatrié de nombreuses œuvres d’art du monde entier qui faisaient depuis longtemps partie de leurs collections permanentes.
Pour ne citer que quelques cas : en France, le musée du Quai Branly a restitué les 26 objets royaux d’Abomey au Bénin. Au Royaume-Uni, Le Victoria and Albert Museum a rendu à la Turquie, une ancienne aiguière en or anatolienne, datant de plus de 4000 ans. Le récent musée Humboldt Forum en Allemagne a renvoyé une vingtaine d’objets anciens en Namibie. La Belgique a adressé à la République Démocratique du Congo un inventaire des objets d’art conservés au musée de l’Afrique de Tervuren dont la provenance est congolaise.
Qu’est-ce qu’une politique de restitution ?
Les musées du monde entier font face à ces politiques car une part considérable des œuvres se trouve en dehors de leur pays d’origine. Selon la « Museums Association », la plus ancienne organisation internationale des musées : « tous les musées doivent avoir mis en place une politique ou une procédure de restitution qui définit la manière dont toute proposition de rapatriement sera gérée ».
L’acte de (re)transférer des objets d’art représente également un marqueur important de la coopération culturelle entre les pays qui les détiennent et ceux qui demandent leur retour dans leur pays d’origine.
Ces démarches de restauration d’un patrimoine formulent plusieurs objectifs comme favoriser un développement culturel sur le territoire, disposer de biens pouvant être léguer à la génération future.
Il s’agit aussi d’un processus qui vise à prendre en compte l’Histoire et donne un terrain pour une certaine forme de réparation.
Relever les défis actuels
La ferveur actuelle de ces politiques donne lieu à des décisions inédites et sans précédent, une situation qui semble avoir été prise à bras-le-corps.
La restitution est aujourd’hui une évidence. Chacun comprend la nécessité d’un pays d’accéder à sa mémoire et le besoin de renouer avec des archives de son identité. Les valeurs intrinsèques derrière ces évènements résonnent avec les grands principes de notre activité d’assureur : réparer des dommages, restaurer le bien dans son état originel, conjurer l’enrichissement sans cause.
C’est assez naturellement que nous intégrons ces problématiques dans nos solutions. Le souhait de la restitution est simple, la manière et la proportion sont plus complexes. En Europe, le débat se situe au croisement de plusieurs sujets, dans un tourbillon de questionnement.
Les professionnels des musées auraient été dessaisis du sujet
Dans l’écosystème muséal, sont présents des professionnels dont le rôle est de documenter les œuvres, et d’autres dont le rôle est de les convoyer, les protéger, évaluer leur état. Du sentiment général, il ressort que ces spécialistes n’ont été que très peu conviés à prendre part à la décision et aux choix des objets d’art à restituer.
Très orientées sur les enjeux politiques, les discussions se sont révélés exclure les responsables de collection, qui pourtant s’occupent des œuvres au quotidien et les connaissent particulièrement. Pour certains, le constat va même plus loin car ils vont jusqu’à exprimer une thèse d’instrumentalisation des musées par les autorités.
D’autres se demandent à quel titre les biens sont désormais systématiquement rendus à un Etat, passant des mains d’un gouvernement à un autre, alors que les biens spoliés visent plutôt la restitution aux familles.
Les objets : culturels, commerciaux, artistiques et/ou cultuels ?
Si l’on se focalise sur les biens, naissent également débats et interrogations. L’épithète de l’objet dépend du regard qui lui est porté. Un grand nombre d’objets retournés ont d’abord collectés pour des études ethnographiques visant à améliorer la compréhension des différentes cultures, sans réellement valoriser leur dimension artistique.
Justement, est-ce le regard porté par l’artiste en Europe qui a donné à ces objets leur caractère d’œuvres ? Leurs qualités formelles n’ont-elles été révélées que par l’entremise de certains marchés de l’art ? A moins que ce ne soit la découverte de ces objets qui a révolutionné l’esthétique occidentale ?
Là encore, certains collectionneurs, dès le départ, les ont considérés comme des objets commerciaux, ce qui soulève des questions nuancées sur la différence entre l’art acquis légitimement et celui acquis à tort- achat de bonne foi versus acquisition illégitime, voire empreinte de domination.
D’un autre point de vue, ces objets peuvent avoir un passé cultuel qui a été interrompu. Seront-ils être réintégrés dans leur rôle une fois restitués ? Le monde et ses mœurs évolue tout autant partout. La cérémonie et les rites s’accordent-t-il avec la vocation muséale ?
Quoi qu’il en soit, chaque artefact a son histoire, chaque objet d’art implique un récit en plusieurs épisodes. Lorsque les biens sont déplacés d’une culture à une autre, la signification est souvent laissée pour compte.
Relecture des collections
Premièrement, les institutions muséales sont invitées à trouver un équilibre entre le socle de leurs conceptions et la façon de servir le mieux leurs audiences – tant locale qu’internationale – en écoutant le souhait des peuples.
Deuxièmement, les musées doivent accorder la priorité aux circonstances dans lesquelles les objets d’art ont été et sont acquis et pratiquer la restitution lorsque cela est justifié.
Enfin, au fil du temps, les musées peuvent s’efforcer de fournir une relecture de leurs collections au public en reconnaissant d’avantage les évènements historiques et le déplacement d’objets qui en résulte.
Différentes sources se recoupent pour valoriser une documentation précise de chaque œuvre pour être en mesure de fournir une réponse éclairée en face de chaque démarche de restitution. A l’instar de l’Allemagne qui a réservé une somme de 1,9 million d’euros de budget dédié aux recherches de provenance des œuvres.
Être objet d’une étude de provenance sérieuse légitimerait l’action subséquente de restitution. Elaborer des procédures où interviennent au cas par cas plusieurs parties prenantes – par exemple l’historien, le juriste et l’expert en art - est également considéré comme une potentielle approche. Opposée au parti pris d’une position générale sur le sujet.
Un dialogue entre les musées est sans doute clé pour une compréhension mutuelle, ainsi qu’entre les musées et les communautés concernées. L’Histoire devrait toujours être racontée par un concert de voix.
Les prochains défis
Ils sont innombrables évidemment, à l’approche de la déferlante de questions et intérêts en jeu que nous évoquions. Les nouvelles actions de restitution qui s’enclenchent laissent tout à inventer dans la manière logistique de les concevoir. Ramener un patrimoine, replacer les objets d’art dans leur culture s’accompagne d’une intégration. Quelle forme devrait-elle prendre ?
Les uns avancent l’hypothèse d’un enseignement voire d’une responsabilisation des pays qui récupèrent les biens. Les autres y opposent que la posture frise à nouveau l’impérialisme.
Dans le même ordre d’idée, qui prône un partenariat basé uniquement sur l’exportation de l’expertise des musées européens s’avance en eau trouble. Il s’agit encore de placer le curseur avec justesse entre l’influence de nos savoir-faire muséaux et la capacité sur place à se doter de conditions structurelles, grâce à la formation des conservateurs et muséographes.
De plus, nous remettrons inévitablement en question la conception universaliste de nos musées.
Présenter des objets à la manière d'un musée universel tend à leur conférer une certaine solennité avec laquelle ils n'ont pas nécessairement été créés et qu'ils n'auraient probablement pas ailleurs. La tendance est de s’éloigner de l'idée fixe ou sanctuarisée d’un espace muséal pour entrer dans une ère qui apprécie les différentes perspectives sur l'art et l'histoire, au sein de lieux de connaissances partagées.
En tant qu’assureurs, le défi le plus crucial en matière de restitution est peut-être de sortir de nos propres tutelles, tisser des liens professionnels divers et créer un véritable échange entre personnes avisées dans chaque pays concerné. L’objectif pourrait être de dégager des pratiques communes visant la pérennité des objets d’art, leur protection et leur circulation.
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