À la fin du XVe siècle, la Banca Monte dei Paschi di Siena (Banca MPS) a créé la première collection d'art d'entreprise au monde après que ses propriétaires eurent demandé à des artistes locaux de créer des tableaux pour décorer ses bureaux. Fondée en 1472, la Banca MPS existe toujours - c'est la plus ancienne banque du monde encore en activité - et sa collection bien préservée comprend des œuvres de l'artiste siennois Pietro Lorenzetti, du sculpteur britannique Henry Moore ainsi que les célèbres pièces de Biccherna, une série de tablettes en bois utilisées pour relier les documents comptables de Sienne.
À l'origine, la collection a été rassemblée uniquement pour le bénéfice des propriétaires de la Banca MPS, et les œuvres n'étaient pas exposées au public. Mais les temps ont changé. Aujourd'hui, la collection est ouverte au public plusieurs fois par an, car la direction actuelle de la banque considère son extraordinaire patrimoine artistique comme un trésor à partager avec la communauté. Cela reflète également la façon dont les entreprises ont compris les avantages plus larges de collectionner des œuvres d’art.
L'art au travail
À l'ère moderne, David Rockefeller a été l'un des premiers dirigeants d'entreprise à apprécier les innombrables avantages de l'exposition d'œuvres d'art dans les bureaux d'une société. En 1959, Rockefeller a créé le programme Art at Work à la Chase Manhattan Bank, dont il était le président-directeur général, car il était convaincu que les œuvres d'art exposées dans les espaces publics et les zones de travail pouvaient envoyer des messages puissants sur le style, l'esprit et la personnalité unique d’une entreprise. Ou, comme il le disait, "l'art donne une autre dimension à l’environnement de travail et à l’envie de faire des affaires avec notre société". Rockefeller était également un acheteur averti - ce qui n'est pas surprenant puisque sa mère, Abby, a participé à la fondation du Musée d'art moderne en 1929 - et il a demandé au programme de se concentrer sur les artistes émergents, en développement et peu reconnus.
D'autres entreprises lui ont emboîté le pas et, au milieu des années 1990, près de la moitié des 500 entreprises du classement Fortune aux États-Unis collectionnaient activement des œuvres d'art, tout comme de nombreuses grandes entreprises européennes.
Comme aux XVe et XVIe siècles, la liste actuelle des grandes entreprises collectionneuses comprend plusieurs banques de premier plan. La Deutsche Bank, par exemple, possède la plus grande collection du monde avec plus de 70 000 objets, dont 90 % ont été créés par des artistes avant leur reconnaissance. Cependant, la star de la collection, la colossale peinture abstraite (Faust) de Gerhard Richter, n'est plus exposée dans le hall du bureau de la banque à Wall Street ; elle a été retirée de la vue du public en 2019. UBS possède également une impressionnante collection de 35 000 peintures, photographies, dessins, gravures et sculptures, notamment des œuvres de Lucian Freud, Jean-Michel Basquiat et Roy Lichtenstein. Il y a aussi JPMorgan Chase. Les œuvres acquises à l'origine par le programme Art at Work de Rockefeller constituent le noyau de sa collection de 30 000 pièces modernes et contemporaines de peintures, sculptures, œuvres sur papier et photographies. Cette collection diversifiée comprend des œuvres d'artistes de tous les pays dans lesquels la banque est présente, ainsi que des chefs-d'œuvre de Sol LeWitt, Robert Rauschenberg et Andy Warhol.
Les grandes entreprises technologiques ont également commencé à créer des collections d'entreprise, souvent avec une touche d'innovation. Par exemple, Meta, la société propriétaire de Facebook, Instagram et WhatsApp, a créé un programme d'artistes en résidence dans le cadre duquel des artistes locaux collaborent avec les employés pour concevoir et créer des œuvres d'art pour ses bureaux. De même, Apple a demandé à des artistes locaux de créer des peintures murales uniques pour ses bureaux dans le monde entier, et les employés sont invités à donner leur avis sur les nouvelles acquisitions et installations artistiques potentielles. L'engagement des équipes est également un élément central de la collection de Microsoft. Un groupe de collaborateur de Microsoft a commencé à collectionner des œuvres d'art au nom de l'entreprise en 1987. La collection de 5 000 pièces est principalement axée sur l'art contemporain et comprend des œuvres de Takashi Murakami, Cindy Sherman et Chuck Close.
Améliorer l'environnement de travail
Aujourd'hui, les collections d'art des entreprises occupent une place importante dans les stratégies de responsabilité sociale des entreprises et les programmes de bien-être des collaborateurs. Selon Chiara Paolino, une universitaire italienne qui a mené des recherches sur les collections d'art des entreprises en Italie et qui est coauteur de l'ouvrage Innovating Business with Art : The Fondazione Ermanno Casoli Method, "Loin d'être un simple investissement lié à la passion et à l'image de marque, les collections d'entreprise sont désormais largement considérées comme une amélioration de la qualité de l'environnement de travail, qui peut bénéficier directement à la santé sociale et économique d'une entreprise."
De plus, les entreprises collectionneuses jouent un rôle essentiel dans le marché mondial de l'art, au bénéfice de tout l'écosystème ; les artistes actifs, les marchands, les organisateurs de foires d'art, les consultants, les évaluateurs, les restaurateurs ainsi que les assureurs, ont tous profité du désir des entreprises d'améliorer "la qualité de l'environnement de travail."
Soutenir les artistes vivants
Bien que, dans les entreprises, les acheteurs aient des styles et des approches différents, une tendance notable consiste à investir dans des œuvres d'artistes vivants. Ou, comme le dit le conservateur d'une collection d'entreprise notoire, "une priorité importante est de collectionner d'une manière qui profite aux artistes." Cette approche signifie que les artistes modernes et contemporains sont très majoritairement représentés dans de nombreuses collections d'art d'entreprise. Les raisons de ce choix ne sont, bien sûr, pas purement altruistes et incluent probablement des considérations telles que l'esthétique, le coût et la personnalité des commandes d’œuvres d'art à des artistes vivants.
Quoi qu'il en soit, les résultats pour les artistes vivants dont les œuvres sont acquises par des entreprises sont toujours positifs. Selon une étude sur les collections d'art des entreprises néerlandaises menée par l'école d'analyse culturelle de l'université d'Amsterdam, "de nombreuses collections d'entreprises, qu'il s'agisse de multinationales ou d'organisations à but non lucratif, présentent des œuvres d'avant-garde produites par des artistes qui viennent d'entrer sur le marché de l'art, ce qui augmente les chances de ces artistes d'être canonisés et reconnus comme faisant partie du patrimoine culturel néerlandais". Les recherches de l'université ont également révélé que les collections d'art des entreprises contribuent à hauteur de 20 % à la demande d'art contemporain aux Pays-Bas. Chiara Paolino confirme ces résultats : "Du point de vue de l'artiste, l'engagement auprès d'une entreprise peut déboucher sur d'importantes opportunités d’épanouissement et de carrières, car il lui offre la liberté d'explorer l'art dans un nouveau contexte, ce qui, à son tour, peut avoir des retombées positives sur des projets ultérieurs."
Protéger des biens précieux
Comme tout autre actif de valeur, les entreprises doivent prendre les mesures appropriées pour protéger et préserver leurs œuvres d'art. Pour les entreprises et les collectionneurs privés, nous recommandons des polices d'assurance d'œuvres d'art spécifiques adaptées à leurs besoins et à leur situation. En effet, la plupart des polices générales d'assurance des biens ne couvrent pas les œuvres d'art endommagées ou détruites pendant le transport - le type de sinistre le plus courant - et les franchises des polices d'assurance des biens limitent souvent l'indemnisation des clients pour les œuvres endommagées par la fumée ou l'eau, le deuxième scénario de sinistre le plus courant. Parmi les autres avantages des couvertures spécifiques souscrites auprès d'un assureur d'œuvres d'art expérimenté, citons les services de conseil pour faire face aux nouveaux risques - par exemple, ceux associés aux ventes d'œuvres d'art en ligne - et l'accès rapide à des experts en évaluation et en restauration.
Bien que le vol soit généralement un risque moins important, notamment grâce à la généralisation des systèmes de vidéosurveillance, les œuvres d'art, surtout les petites pièces, disparaissent occasionnellement. C'est pourquoi nous recommandons également aux entreprises qui détiennent un grand nombre d'œuvres, en particulier celles qui possèdent des œuvres de grande valeur d'artistes connus, de revoir périodiquement leurs systèmes et processus de sécurité et, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures appropriées pour dissuader les voleurs potentiels.
Enfin, étant donné que les valeurs changent, les entreprises - et, encore une fois, les collectionneurs privés - devraient faire réévaluer leurs œuvres d'art tous les trois à cinq ans environ ; ce n'est pas parce qu'une pièce valait un certain montant au moment de son achat qu'il s'agit de sa valeur de remplacement aujourd'hui.
Dans les environnements de travail modernes, qui sont principalement conçus pour gagner en efficacité et en productivité, tout porte à croire que la possession et l'exposition d'œuvres d'art sont bénéfiques pour les entreprises à de multiples niveaux, y compris l'image de marque et la promotion, le bien-être des employés et la responsabilité sociale de l'entreprise. Et avec des mesures de prévention et de protection adéquates, les collections d'art des entreprises seront appréciées par les générations futures, tout comme celle de la Banca MPS l'est par les gens aujourd'hui.
